Parler de moi est un concept difficile alors j’aimerais que vous fassiez preuve de grande patience. Je sais qui je suis et je sais ce que je suis, mais cela ne m’empêche pas de ressentir un certain malaise lorsque je dois me décrire en tant que personne. Comprenez que mon moi intérieur est le seul endroit où tout est secret et où je peux me réfugier lorsque je suis blessée alors n’allez pas y foutre la merde d’accord? Un petit jardin fleuri jalousement surveillé peut vite devenir un champ miné et dévasté. Cela ne fait pas de moi une meilleure personne et quiconque dira le contraire est un menteur, mais pour mon équilibre personnel il est préférable que je reste secrète et réservée. Rien à voir avec la notion de timidité, au contraire puisque je suis sociale, enjouée, énergique et que je parle de façon continue au risque de tomber sur les nerfs de mon entourage. Cependant, je ne parle jamais de moi ou des gens qui me sont proche par principe, c’est tout. Par principe, et aussi pour les protéger mais ça c’est une autre histoire. J’ai mon petit jardin de l’oubliez pas… Je suis consciente que cette description est plutôt banale, mais je ne sais pas quoi ajouter pour vous faire un portrait assez détaillé de celle que je suis dans le secret de mon intimité et celle que je deviens dès que je passe la porte de ma demeure. Mon frère vous dirait que ma douceur n’a pas d’égale et il a raison. Par contre, je n’aime pas être comme cela, car ça me rend vulnérable. Mon frère vous dirait que je suis du genre naïve, ce qui est faux. Je ne suis pas naïve, mais influençable et la nuance est là, petite je l’accorde, mais elle est là. D'ailleurs, c’est pour ne pas souffrir que je laisse une façade froide m’envahir dès je sors de chez moi. Qui suis-je dans le regard de ceux qui m’observent? Une jeune femme déterminée qui n’a pas froid aux yeux et qui ne se laisse pas non plus marcher sur les pieds. Je marche dans la rue à la recherche de primeur et je n’hésite pas à bousculer un peu les truands afin de me faire une place de choix.

Cheveux bruns, yeux noisette et un corps sculpté qui semble plaire à bien des hommes. Au travail je porte des lentilles de couleurs vertes et une perruque châtain pâle afin de camoufler un peu celle que je suis réellement. Quand je ne danse pas, je préfère de loin porter des jeans et des t-shirts à motifs ordinaires. Les robes à paillettes et les décolletés sont pour moi des habits de travail et je préfère me faire discrète quand je le peux. Un tatouage représentant un alligator, au dessus de ma fesse gauche, a fait parler beaucoup d’hommes alors que peu en connaissent la véritable signification. Quand je suis nerveuse, j’ai tendance à me ronger les ongles ou alors je joue avec les clés de mon appartement. Mon regard est une porte qui ouvre directement sur mon âme et si vous me connaissez le moindrement, vous saurez tout de suite si je mens ou non. Malgré mon côté rebelle, j’aime rigoler et il y a constamment un sourire d’affiché sur mon visage.

Je suis née d’une mère accroc à la cocaïne et d’un père inconnu. Difficile de mettre un nom ou un visage sur un possible géniteur lorsque votre mère est une prostituée connue et qui fait la rue depuis déjà plusieurs années. Il pourrait aussi bien être Italien, Allemand, Français ou autres… aller savoir et de toute façon ça m’est bien égal. L’homme qui m’a servi de modèle masculin dans ma vie se nomme Thomas et c’est mon frère ainé, je n’ai donc jamais eu besoin de mon géniteur pour me montrer le chemin. Tout cela pour dire que le 1 avril 1990, il y a de cela 21 ans, j’ai vu le jour dans une petite chambre d’hôpital sans le moindre amour maternel planant au dessus de sa tête. Puisque ma mère n’aimait qu’une chose, ces doses, j’étais de trop. Dire qu’avec un visage aussi joli que le sien et un diplôme d’infirmière en poche, elle aurait facilement pu prendre une route différente. Malheureusement, son chemin a croisé celle d’une crapule et a sombré. Elle a d’ailleurs touché le fond de sa misère 19 mois et 12 jours après ma naissance. Une voisine, alertée par mes pleurs, est entrée dans la minable chambre de ma toxicomane de mère pour y découvrir un corps froid et dur. L’odeur de la mort semblait y flotter depuis déjà un bon moment et c’est à partir de cette journée-là que ma vie infernale a débuté.

Onze familles d’accueil plus tard, oui oui, 11 familles plus tard, on m’a finalement montré le chemin de la rue. Je venais tout juste de fêter mes 15 ans et pas besoin de vous dire qu’un gang de rue a vite flairé la bonne affaire. On est naïf à 15 ans et je me suis vite amouraché du premier qui m’a fait de l’oeil. Il a falsifié mes cartes et j’ai dû danser pour payer ma pitance. Une chance pour moi que j'ai tout de même reçu une éducation digne et diversifiée, car la rue m’aurait probablement transformée en loque humaine comme ma mère avant moi. Je parle 3 langues, je m’intéresse à la géographie, la politique, les sports, les sciences et ainsi de suite… Seul problème au tableau, l’école n’a jamais été à la hauteur de mes attentes. J’étais une élève douée et bien élevée, mais une élève qui s’ennuyait à mort dans la rigidité des 4 murs du système d’éducation dans lequel elle évoluait. Ma première famille ne m’a gardée que 12 jours, la seconde 6 mois et ainsi de suite jusqu’au ras le bol de la dernière.


Entre le jour où on m'a foutu à la porte et celui où j'ai dû me débrouiller seule de nouveau, quatorze mois de pur bonheur se sont écoulés dans les bras d'un homme qui me traitait en princesse, me protégeait et qui se souciait de moi… Quatorze mois de rêve et HOP, une autre déception. Un vol à main armée a mal tourné. Mon ami et amant a reçu une balle en plein cœur et c’est suite à cela que j’ai finalement pris ma vie en main. J’ai commencé par me transformer en rebelle de nouveau et j’ai affronté ce futur que je craignais tant. Toujours habitante de la rue, j’ai relevé mes manches puis j’ai foncé tête baissée dans un avenir que je voulais grandiose. Encore beaucoup trop jeune pour ce métier, j’ai continué à danser nue dans les bars miteux de la ville pour survivre. Tout ce que j’avais à faire dans ces endroits minables et bien c’était de danser, bien sûr, mais aussi de montrer son corps, faire frémir les hommes et rapporter une tonne d’argent. En échange de la moitié de mes pourboires, le propriétaire du bar m’offrait sa protection. Je n’ai jamais eu à ouvrir mes jambes aux clients… jamais… et avec ma part des pourboires, j’ai fini par pouvoir me payer un petit appartement et retourner aux études. L’école le jour, le travail la nuit, j'en suis à ma deuxième année d'étude universitaire en médecine. Danser est un métier comme un autre non? L'anatomie et moi c'est du solide!

Depuis quand on s’intéresse à ce que je pense? Les flics? Il y en a des pourris comme de très bons. Habituellement les premiers donnent beaucoup moins de pourboire que les autres. Je danse dans un bar appartenant au One Niners alors disons que… voilà où va ma loyauté. J’ai le choix? Je ne porte pas leur couleur, mais ils me font vivre alors je ferme ma gueule sur ce que je vois sur les lieux de travail